Tout au long de l’année 2024, l’économie mondiale a fait preuve de résilience, mais les écarts de croissance entre les grandes régions se sont accentués. Reflux de l’inflation, désynchronisation des trajectoires économiques, fragilités structurelles : autant de signaux contrastés qui interrogent sur l’avenir. Quels défis majeurs nous attendent et quelles opportunités pourraient se dessiner ? Isabelle Mateos y Lago, Cheffe économiste de BNP Paribas, analyse les dynamiques récentes et éclaire les perspectives à venir.
Isabelle Mateos y Lago : En 2024, la croissance mondiale a réussi à se maintenir à 3,2 %, c’est-à-dire à un rythme similaire à celui de 2023. Ce taux masque toutefois des dynamiques hétérogènes entre les grands pôles économiques mondiaux. La zone euro affiche un taux de 0,7 % tandis que les États-Unis et la Chine atteignent respectivement 2,8 % et 4,9 %. L’année a été marquée par le reflux généralisé des tensions inflationnistes, du fait d’une moindre pression sur les prix de l’énergie et de l’action des banques centrales. Celles-ci ont ainsi pu enclencher une politique d’assouplissement progressif des taux d’intérêt.
I.M.L. : Si les effets de la politique monétaire ont été globalement bénéfiques sur les économies de la zone euro, ces dernières connaissent des difficultés structurelles. Endettement élevé, absence de coordination en matière de politique budgétaire, stagnation de la productivité sur fond de vieillissement démographique, chute de la production industrielle, recul des exportations, en particulier pour l’Allemagne : autant d’éléments qui pèsent sur leur niveau et sur leur potentiel de croissance, sans oublier les crises politiques française et allemande qui ont entravé la prise d’initiatives pour relancer l’économie européenne. L’économie américaine a, pour sa part, poursuivi son envol en 2024 avec un marché de l’emploi et une consommation dynamiques, un dollar fort et une politique budgétaire laxiste soutenant des investissements d’avenir, essentiellement dans les infrastructures et la transition énergétique. Quant à la Chine, elle doit sa croissance résiliente à un niveau d’exportations record, alors même que la demande intérieure est restée freinée par une crise de l’immobilier persistante, un taux de chômage historiquement élevé, notamment chez les jeunes, et des insuffisances structurelles de filet de sécurité sociale conduisant à une épargne des ménages très élevée.
I.M.L. : Nous pensions en début d’année que la croissance mondiale serait d’environ 3 %. Toutefois, la politique déployée par la nouvelle administration américaine a sensiblement changé la donne à ce jour. Aux États-Unis, l’incertitude prévaut. De premiers signes de ralentissement apparaissent, le dollar et les taux d’intérêt se sont affaiblis et les marchés boursiers se sont retournés. Quant aux indicateurs de confiance des ménages et des entreprises, ils marquent une forte décélération. Toutes ces données laissent à penser qu’un fort ralentissement de l’économie américaine est probable. À l’inverse, l’Union européenne a vu ses perspectives de croissance sensiblement renforcées par les développements récents, notamment la décision historique de l’Allemagne d’engager des dépenses publiques d’infrastructure et de défense de l’ordre de 1 milliard d’euros sur 10 ans. À cela s’ajoutent plusieurs autres vents porteurs : l’Europe devrait - contrairement aux États-Unis - bénéficier d’un assouplissement supplémentaire de la politique monétaire. Elle a pris conscience de son manque de compétitivité à l’échelle mondiale et de son besoin urgent de s’adapter à la nouvelle donne économique et stratégique imposée par les États-Unis. Elle s’est donc dotée de deux outils phares : le plan « ReArm Europe » pour stimuler ses investissements dans les capacités de défense et la « boussole de compétitivité » pour remédier à ses faiblesses structurelles et simplifier son fardeau réglementaire. La Chine, enfin, se heurtant à un durcissement des barrières commerciales de la part de nombre de ses partenaires, s’interroge désormais quant à la possibilité de stimuler sa consommation intérieure, ce qui serait bénéfique pour elle et pour le reste du monde.
ENTRETIEN RÉALISÉ LE 26 MARS 2025.
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